« Mes Machins Favoris »

" Rétrospective d'une écoute glorieuse de John Coltrane..."

Ce bon vieux printemps de l’année 2020, époque florissante pour les youtubeurs et les cinéphiles, fût en ce qui me concerne le moment idéal pour trier ma collection de disques et réécouter quelques pépites enfouies dans les bacs… Je passais donc des journées entières à me laisser flâner au hasard des pochettes, dépoussiérant et rafistolant les plus négligées, puis savonnant les sillons crasseux au rythme de la platine qui tournait à plein régime. Dans le rayon Jazz, entre une compil de Count Basie acquise pour la modique somme de 1 euro durant une tournée germanique et un album des B-52’s qui n’avait rien à faire ici, je suis tombé sur mon exemplaire de «My Favourite Things», le fameux…  Celui de Coltrane bien entendu ! C’est un disque que j’écoute régulièrement, il faut l’avouer, entre deux séances de pop-corn, histoire de me coller une petite torgnole de rappel… Et les deux moments qui s’accordent le mieux avec Coltrane sont l’aurore et le crépuscule. Me demandez pas pourquoi. Bref, les dernières lueurs orangées de l’astre solaire venaient de s’étaler dans le ciel… J’en profitais donc pour lancer «mon machin favori» sur la platine... C’est parti… Introduction, présentation du riff, exposition du thème... Le son est magnifique, les harmoniques sont modernes. Elvin Jones caresse les fûts, titille les cymbales... Merde, c’est beau ! Arrive la masterclass, le solo de piano, tout en simplicité.  

McCoy Tyner plaque ses accords et part dans une petite envolée aux airs de valse… Un passage que je trouve assez croustillant puisque c’est celui où il s’accroche sur une fausse-note. Une fausse-note !? Oui c’est très rapide mais je l’entends clairement la fausse-note... Bon, il parait que dans le Jazz les fausses notes ça n’existe pas mais moi je suis convaincu que la note n’a pas été jouée intentionnellement et qu’elle n’est pas une pirouette de «free-jazzeux» en quête de dissonance…

Au moins ça prouve que cette musique est vivante, voilà.  D’ailleurs, un jour, il faudra écrire une encyclopédie sur toutes les fausses-notes (ou les «pains», comme dirait l’autre…) qui se sont glissées dans les chefs-d’œuvre… ça fera office de témoignage ! La musique doit inclure une part d’imperfection pour rester humaine, authentique, et grande… Enfin, c’est mon avis. J’en étais à ce point de ma réflexion, en train de sautiller au milieu des pins, des fleurs sauvages, et des flûtiaux New-Yorkais, lorsque les sirènes du couvre-feu firent irruption pour me baiser l’ambiance. Complètement. Ah je les avais oubliées ces chiennes !!! Même qu’elles en remettent une seconde couche, immédiatement…  À savoir que dans la ville où j’habite, Perpignan, durant le premier confinement nous eûmes l’immense privilège d’être rappelés au couvre-feu par ce signal sonore aux relents militaires. Une époque glorieuse. Et depuis ma piaule je l’entends parfaitement bien, le clairon… Se faufilant au milieu du «bidule formidable», tel un râle cuivré qui ruisselle sur les murs de la ville et lèche en passant tout le merdier du monde, in fine, afin de se l’agglutiner en une petite boule dégueulasse et me la foutre dans l’oreille…  Un clairon quoi. Voilà le bordel ! Bon, je bronche pas. Inutile. Et puis je dois rester concentré sur la musique, c’est important. Je replonge dans mon écoute. Hélas, la gueularde d’en face, une voisine avec des poumons énormes, surgit à sa fenêtre pour vociférer. Elle est pas contente.  «Va niquer ta mère» ! Qu’elle lui balance, au clairon. Ah ça nous fait une belle jambe...  Elle peut s’époumoner si ça lui chante… Le clairon, lui, il continuera de mettre au garde-à-vous le people et les morbacs, indéniablement. Ainsi va la vie. Bon, une minute de silence, please. C’est au tour de John. Le voilà qui part de plus belle dans ses chromatismes (en vrai je sais pas ce qu’il joue mais il doit y avoir du chromatisme dedans)… 

Le mec fait tellement monter la sauce qu’on a l’impression qu’il pourrait concrètement s’envoler et se barrer de cette planète, nous laissant là, comme des bouseux, à faire nos gammes dans la crasse et l’urine des oiseaux. Je commence à sentir un petit nuage frais dans la pièce et j’avoue que ça me requinque les méninges. Mais quand on foire le timing il faut toujours rester alerte… Il est 20h et c’est l’heure de la fiesta aux balcons.

J’avais zappé. Il y a toujours ce type qui rapplique avec sa casserole et se met à gueuler en cognant fort dessus…  «Ouéééé ouéééé» ! Qu’il gueule. En boucle. Pendant un quart d’heure. Des gens tapent dans leurs mains mais lui il veut vraiment cogner plus fort que tout le monde. Un Bronx à lui tout seul. Il doit croire que plus il cogne fort sur sa timbale plus les biftons vont tomber du ciel comme une petite poudre de perlimpinpin bien chaude… C’est magique la casserole. Bon, faut attendre au moins 10 minutes de plus pour que ça commence à tamponner moins fort et John reprend ses droits sur la platine. Je suis surpris de le trouver encore là. A vrai dire, je pensais que John il avait tellement pondu un truc magistral ce jour-là, quand il a enregistré «My Favourite Things», que ça finirait par tout vaporiser, à force. Même le disque aurait fini par se faire la malle en douce... Fallait changer de dimension pour le suivre, ou un truc du genre… Mais il est là le gonze. Bref, j’ai plus trop l’envie après coup… Tout a été gâché. Je me dirige mollement vers mon ordinateur pour aller me coltiner les news du morbac. Pas grand-chose. Ça m’bidonne toujours autant de voir comment y’a plein de types qui veulent être plus malins que les autres. C’est tout. D’ailleurs, je me dis que ça finira comme ça tout ce merdier… Pendant que le bateau coulera on restera là à s’engueuler et on finira tous engloutis comme des couillons, sous la flotte. Et puis les autres fileront à l’anglaise pour passer du bon temps sur une île paradisiaque, ou dans un bunker (hahaha), avec le pognon et les gonzesses, hein… Et surtout avec nos p’tites cervelles congelées dans un bocal pour l‘apéro ! Ouais, bien fraîches. Bon, de toute façon le morceau est fini et le reste du disque m’emballe un peu moins, enfin plus dans l’immédiat… La musique, c’est un peu comme le sexe : pour être satisfait intégralement il faut respecter un certain timing avec des conditions optimales… Et si on foire le timing il reste plus qu’à se rediriger vers le frigo. C’est l’heure des pâtes.

V.E2 novembre 2021



Tags

Chronique, Confinement, Jazz, John Coltrane, My Favorite Things, Perpignan, Poulet Johnson, Vinyle


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