"Little Mozart"




Je pourrais m’amuser à raconter des histoires invraisemblables comme quoi j’aurais découvert Theo Lawrence par hasard dans les toilettes de l’aéroport de Los Angeles, entre deux cafés serrés. (Il parait qu’il y a de la musique absolument partout à L.A. ...) Ou bien, que je me baladais tranquillement dans la rue, fringué avec mes santiags et mon tee-shirt Willie Nelson, lorsqu’un touriste japonais se dirigea vers moi pour me filer son disque. Mais la réalité est plus banale puisque c’est tout simplement un pote qui m’a branché sur le coup. On revenait d’un concert en Bretagne, 8 h aller 8 h retour, et quand la route est longue on écoute beaucoup de musique… Alors, on s’est refait les classiques du Rhythm’n’blues, Miles Davis, les Doors, le Tango argentin, Bobby Lapointe… chacun y allant de sa petite playlist, tout en traversant le paysage pluvieux de l’ouest franchouillard. Et puis à un moment donné mon pote m’a demandé si je connaissais Theo Lawrence. J’ai répondu non. Du coup, il a balancé le single «Heaven to Me», plutôt chouette, avant d’enchaîner sur «Shangai Lady» et surtout «Prairie fire», qui m’a mis sur le cul... Bon, j’étais fatigué, mais quand même ça m’a troué le cul au point que j’écrive son nom sur un bout de papier tout crasseux.
Et là mon pote me raconte l’histoire… qu’il était bénévole cet été au Blues Rules festival en Suisse et c’est là qu’il a rencontré Theo Lawrence… « On l’a vu débarquer avec son band, tous sapés comme des cow-boys, l’attirail complet avec le chapeau les santiags et tout... Pour des gars qui viennent de Bordeaux ça fait drôle… En tout cas ils nous ont mis une sacrée claque durant le concert… On était tous en croix ! Et plus encore les minettes parce que le môme il a une bonne tronche, il plaît aux filles… » C’est intriguant tout ça, dis donc… « Ouais, Theo il a dans les 26 ans. C’est un franco-canadien biberonné aux vinyles de country, de rock’n’roll et de soul… Il a poussé dans la musique, la bonne…» Merde, ce salaud a une voix d’enfer ! C’est ce qui m’a marqué en premier. Puis le combo fatal, compositions classieuses et production de haut vol, achevait de faire monter la sauce dans ma petite caboche enthousiaste… À peine rentré à Perpignan, je me tapais fébrilement la discographie complète du jeune prodige. Deux albums et neuf E.P plus tard, j’étais convaincu par l’authenticité de cette pépite et sans moufter j’avalais la totalité des Lives disponibles sur youtube, dont celui d’Arte qui là aussi m’a foutu sur le cul. Merde, un son pareil… Et puis cette maîtrise des musiciens… C’est franchement impressionnant ! Voilà encore une bande de loulous semi-imberbes pour nous mettre une tannée ! C’est le mythe du « Little Mozart », le génie précoce, en récidive… « Il parait qu’à ses débuts il y a un certain nombre de types aux dents longues, des producteurs, qui ont flairé le bon coup et ont voulu mettre le grappin sur sa musique pour contrôler la direction qu’elle devait prendre, notamment vers quelque chose de plus moderne… Mais lui ça le branche pas trop, c’est un rêveur, un puriste, il a lâché toute l’équipe pour revenir à la source avec son album « Sauce Piquante »… Un disque plutôt country ou « swamp pop », comme il dit… ».
En écoutant cette histoire je me disais que notre « Little Mozart » possède indéniablement une bonne paire… La marque des grands. Ceci dit, je dois avouer qu’après avoir parcouru cette discographie débordante de talent et extrêmement bien produite, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y a là un artiste qui cherche encore son expression propre, celle qui le démarquerait des anciens dont il restitue l’héritage avec perfection. Tout cela est merveilleux mais suinte légèrement le classicisme, le respect des maîtres, la citation biblique ; un «traditionalisme» largement assumé par l’intéressé qui s’oppose à une certaine vision de la modernité en restituant les codes de la musique Old School, pour simplifier grossièrement… Le bruit moderne s’exprimant lui aussi au travers de codes d’identification (principe que l’on retrouve dans n’importe quel style, époque ou culture), le challenge de l’artiste est de trouver une interprétation, un assemblage des formes, qui ne ressemble à rien d’autre… Or, par moments, il semble émerger quelque chose de plus original, de plus libre, comme sur le titre «Prairie Fire» absolument brillant et qui, pour le coup, se démarque un peu du reste. Que ça soit dans la composition ou les arrangements, il y a quelque chose dans cette chanson qui semble intime et personnel. Un truc bien à lui. Voilà. Et c’est ça qui m’intéresse, et c’est pour cette raison que je place beaucoup d’espoir dans notre poulain. Car j’ai entrevu la lumière… « I saw the light », comme dirait l’autre… Moi, je le sélectionne direct en équipe Espoir et je le mets titulaire, sur le terrain. Il faut qu’il joue, le minot… encore et encore… Qu’il se fasse les dents ! Qu’il confirme la promesse ! On peut rêver de voir un jour notre petit Mozart se muer en Big Johnny, affranchi des carcans, héros moderne des amateurs de limonade et de sauce piquante… À vous les amis.
V.E - 23 novembre 2021